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Applications aux neutrinos des réacteurs, à la puissance résiduelle et calculs de sommation

L'étude de la désintégration bêta offre un grand nombre d'applications reliées à la physique des neutrinos des réacteurs aussi bien fondamentale qu'appliquée. Elle permet aussi d'améliorer la connaissance et donc la maîtrise de la puissance résiduelle des réacteurs nucléaires, puissance qui continue à se dissiper suite à l'arrêt d'un réacteur. Les calculs de sommation sont essentiels pour mener à bien ces études autour des neutrinos et de la puissance résiduelle.

Dans un réacteur de type REP, le nombre total de fissions qui se produit en fonction du temps provient essentiellement de la fission des 4 isotopes 235U, 238U initialement présents dans le combustible et 239Pu et 241Pu produits par capture neutronique et désintégration bêta successives de 238U. Sur la figure 1 où on voit cette évolution en fonction du temps (le burn-up du réacteur), on constate que l'235U minoritaire dans le combustible est le contributeur principal à ce taux de fissions. L'augmentation de la production du 239Pu avec le temps augmente fortement également le taux de fission associé. Les produits de fission qui en découlent, riches en neutrons, se désexcitent ensuite par désintégration bêta ou bêta-n (avec émission d'un neutron retardé) et sont donc à l'origine du flux considérable d'antineutrinos qui sort des réacteurs de recherche ou de puissance.

 burnup

Figure 1 : Evolution du taux de fissions par seconde dans un réacteur de type REP.

 

Les propriétés de désintégration bêta des noyaux riches en neutrons, en particulier des produits de fission, jouent donc un rôle majeur dans l'estimation d'observables importantes pour la sûreté des réacteurs nucléaires ainsi que la physique des neutrinos, qu'elle soit fondamentale ou appliquée. Récemment, l'anomalie des réacteurs - un déficit significatif entre les prédictions réalisées à partir d'estimations récentes des spectres en énergie des antineutrinos et les flux mesurés par les expériences de neutrino à moins de 100m d'un coeur de réacteur - a attiré l'attention des communautés de physique des particules et de physique nucléaire [1]. Cette problématique est à l'origine de nombreuses nouvelles expériences de physique des neutrinos proches de réacteurs de recherche dans le monde dont l'expérience Solid dans laquelle le groupe SEN est impliqué.

Une meilleure connaissance du spectre des antineutrinos des réacteurs est requise et pour cela, la maîtrise de la physique nucléaire sous-jacente est incontournable. La physique nucléaire joue un rôle prépondérant dans les deux méthodes de calcul des spectres à l'étude actuellement et l'équipe de Subatech occupe une place de leader international dans la prédiction des spectres d'antineutrinos basée sur la méthode de sommation à partir des données nucléaires [2,3] dans un contexte fortement concurrentiel. Pour un isotope donné, la méthode de sommation permet de calculer le spectre en énergie total attendu des antineutrinos produits auprès d'un réacteur nucléaire. En se basant sur la connaissance des données de désintégration des noyaux pris individuellement, on peut d'abord calculer les spectres d'antineutrinos individuels attendus pour les quelques 800 produits de fission d'un isotope donné à l'aide de la théorie de Fermi. La méthode de sommation consiste ensuite à sommer l'ensemble de ces spectres en énergie individuels pondérés par leur rendement de fission issus des bases de données nucléaires correspondantes.

Nos prédictions les plus récentes, d'une qualité inégalée grâce aux mesures de spectroscopie par absorption totale réalisées sur la dernière décennie, ont fait l'objet d'une publication dans une revue de rang A à fort impact [3], d'un viewpoint sur un PRL de l'expérience Daya Bay sur le sujet [4] et d'un article dans la lettre du CNRS/in2p3 ("Déficit d'antineutrinos produits dans les réacteurs : la physique nucléaire apporte des éléments de réponse", avec l'équipe de Muriel Fallot). Ces prédictions ont d'ailleurs été reprises récemment dans une nouvelle publication [5] pour en étudier l'impact global en physique des neutrinos. Il s'agit ici avec ce projet de détecteur TAGS le plus performant, de conserver notre place de leader face à une concurrence internationale très forte et d'apporter une réponse définitive au questionnement associé à l'émission des antineutrinos des réacteurs avec cet équipement novateur. Enfin une problématique commune avec l'étude des antineutrinos est l'étude des produits de fission à l'origine de la puissance résiduelle des réacteurs après leur arrêt. Cette puissance résiduelle représente environ 7% de la puissance nominale d'un réacteur et doit être évacuée sous peine de faire fondre les gaines de combustible (cf. accident de Fukushima en 2011). A ce jour des différences importantes subsistent entre les mesures intégrales faites dans des expériences au sein de réacteurs, et les calculs qui utilisent les données nucléaires, même pour les puissances résiduelles associées aux noyaux fissiles les plus courants comme l'235U et le 239Pu. Dans ces conditions, il est difficile de fournir des prédictions fiables pour les réacteurs du futur. Il s'agit ici aussi de réaliser des progrès significatifs dans ce domaine avec le spectromètre TAGS innovant proposé.

 

Bibliographie

[1] G. Mention et al., The Reactor Antineutrino Anomaly, Phys. Rev. D 83 (2011) 073006.

[2] M. Fallot et al., New Antineutrino Energy Spectra Predictions from the Summation of Beta Decay Branches of the Fission Products, Phys. Rev. Lett. 109, 202504 (2012).

[3] M. Estienne et al., Updated Summation Model: An Improved Agreement with the Daya Bay Antineutrino Fluxes, Phys. Rev. Lett. 123, (2019) 022502.

[4] M. Fallot, Viewpoint: Getting to the Bottom of an Antineutrino Anomaly, Physics 10, 66 (2017).

[5] J. Berryman and P. Huber, Reevaluating Reactor Antineutrino Anomalies with Updated Flux Predictions, Phys. Rev. D 101 (2020) 015008, arXiv:1909.09267.