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1 - Effet Pandémonium et biais des bases de données nucléaires de désintégration

Comme expliqué dans la section Applications aux neutrinos des réacteurs, puissance résiduelle et calculs de sommation , les propriétés de décroissance β- des produits de fission sont importantes pour la simulation du spectre d’antineutrinos émis par les réacteurs et pour le calcul de la puissance résiduelle des réacteurs à l'arrêt, mais l’étude de ces quantités est sujet à la précision des bases des données existantes qui sont affectées par ce qui est appelé effet « Pandémonium » [1] . Cet effet est dû au fait que la technique la plus employée pour l’estimation de propriétés de décroissance bêta utilise des détecteurs au Germanium (Ge) qui ont une efficacité qui chute exponentiellement avec l’énergie des gammas, ce qui peut conduire à une sous-estimation des branches de décroissance bêta vers les niveaux excités de plus haute énergie dans le noyau fil. Le problème est représenté sur la figure 1 : si le détecteur Ge ne voit pas le gamma de haute énergie appelé γ1 l’alimentation qui était censée aller au niveau de plus haute énergie sera attribuée à un niveau d’énergie plus basse.

pandemoniumtas

Figure 1 (de A. Algora) : (gauche) Illustration de l'effet Pandémonium sur les niveaux d'énergie alimentés dans le noyaux fils. (droite) différence de mesure d'une cascade de désexcitation entre un détecteur au germanium et un TAS.

 

En guise d'illustration, la figure 2 présente un spectre en énergie des antineutrinos émis lors de la désintégration bêta du 105Mo (calculs réalisés avec la méthode de sommation développée par le groupe).

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Figure 2 : Spectre en énergie des antineutrinos émis lors de la désintégration bêta du 105Mo. Comparaison entre la base de données JEFF3.1 et les données de l'expérience TAS.

 

La courbe en pointillés présente le spectre calculé à partir des données de désintégration présentent dans la base de données nucléaires JEFF3.1 provenant de mesures réalisées avec un détecteur Ge de haute résolution. La courbe en trait plein montre le même calcul effectué sur la base d'une mesure calorimétrique décrite ci-dessous réalisée dans le groupe qui permet de corriger de l'effet Pandémonium. A l'échelle d'un isotope donné et de ce fait d'un produit de fission, on constate que la valeur moyenne de la distribution est quasiment divisée par deux suite à la correction et la forme des distributions est fortement modifiée également. Ceci impacte directement les bases de données nucléaires, les calculs de sommation pour les neutrinos et la puissance résiduelle et les forces bêta pour la physique nucléaire fondamentale.

2 - Spectroscopie par Absorption Totale (TAS) et collaboration

La solution à ce problème est la méthode de spectroscopie par absorption totale (TAS, Total Absorption Spectroscopy) qui est basée sur la détection des gammas de désexcitation à travers l'utilisation d’un détecteur à haute efficacité couvrant un angle solide de presque 4π tout autour de l'isotope sélectionné. Cette méthode permet d'avoir accès directement à l’énergie des niveaux excités peuplés par la désintégration bêta dans le noyau fils. Cette technique est complémentaire à l’utilisation de détecteurs Germanium (Ge) pour la spectroscopie des noyaux puisqu'elle assure une haute efficacité de détection mais avec une moindre résolution.

Un projet experimental a démarré en Janvier 2009, avec la participation de membres du groupe SEN et une équipe de Valencia (J.-L. Tain et A. Algora) et Surrey (William Gelletly) à une réunion organisée par l'AIEA à Vienne sur la possibilité d’améliorer le calcul de la puissance résiduelle en re-mesurant avec la méthode TAS certains noyaux sélectionnés. Cette réunion a été le point départ d'une collaboration entre les deux groupes de Valencia et Nantes pour identifier et mesurer les produits de fission intéressants pour la puissance résiduelle, pour les antineutrinos et, dans la plupart des cas, pour les deux.

Dans le cadre de ce projet, en novembre 2009, une partie du groupe a participé à des mesures de décroissance bêta de noyaux intéressants sélectionnés par l'équipe de chercheurs de Valencia et l’équipe de Subatech. Ces mesures ont été effectuées auprès de l’accélérateur de Jyväskylä (Finlande) en utilisant la méthode TAS avec un détecteur segmenté composé par 12 cristaux de BaF2 appelé Rocinantes (figure 3 - gauche).

                  rocinantes            dtas

 

Figure 3 : Le détecteur Rocinantes (gauche). Le détecteur DTAS (droite).

 

Une deuxième expérience a été effectuée en février 2014 toujours auprès de l’accélérateur de Jyväskylä. Pendant cette expérience, 23 noyaux d’intérêt pour le calcul du spectre d’antineutrino et la puissance résiduelle de réacteurs ont été mesurés [2]. Cette expérience a été réalisée avec un nouveau détecteur segmenté, le DTAS, composé par 18 cristaux de NaI (Figure 3 - droite) [3].

Avant 2009, nos collègues Valenciens avaient développé un détecteur TAS constitué d'un seul gros cristal de NaI (Lucrezia) installé auprès de l'accélérateur de ISOLDE au CERN. L’avantage d'avoir conçu ensuite des détecteurs segmentés a ouvert la possibilité d’étudier la multiplicité des gammas détectés d'intérêt notamment pour la structure nucléaire. Le groupe SEN s'intéresse ainsi à l'étude de la présence d’éventuelles résonances pygmées, signature d’une peau de neutrons.

L’analyse des données TAS, nous donne directement accès à l’alimentation bêta vers chaque niveau du noyau fils en résolvant le problème inverse d=R*f, où d représente les données, R est la matrice de réponse du détecteur et f l’alimentation (feeding) que nous cherchons à mesurer. Pour cela, il nous faut des données propres sans contamination et bruit de fond ; une connaissance précise de notre système de mesure obtenue par la simulation et des connaissances minimales des propriétés du noyau pour calculer la matrice R. Pour cette raison, la méthode TAS est complémentaire aux mesures déjà existantes obtenues avec des détecteurs Ge, puisqu’elle s‘appuie sur les connaissances déjà apportées par ces mesures tout en les complétant.

A travers l’alimentation, la technique TAS, donne accès à l’intensité bêta et, donc, à la force bêta qui est une observable microscopique que les modèles théoriques peuvent calculer, ouvrant ainsi une fenêtre sur la structure du noyau. Les mesures TAS apporteront de nouvelles contraintes utiles pour améliorer la prédictivité des modèles, indispensables dans d'autres domaines de la physique comme par ex. l'astrophysique nucléaire dans les calculs de nucléosynthèse.

La collaboration TAS a publié de nombreux résultats de ses deux campagnes d’expériences de 2009 et 2014, en guise d'illustration, on pourra consulter les articles [4,6]. Et l’équipe SEN est leader dans l’étude de l’impact de ces nouvelles mesures sur le calcul du spectre antineutrino [7,8].

Dernièrement L’équipe SEN a demandé une subvention à la Région Pays de la Loire et fait une demande d'ANR pour améliorer le DTAS existant avec une ou plusieurs couronnes de LaBr3, c'est le projet (NA2)STARS . Ces nouveaux détecteurs qui rassemblent une haute efficacité et une bonne résolution en énergie permettront d’aller mesurer des noyaux plus exotiques et mal connus, inaccessibles aux détecteurs TAS actuels.

 

Bibliographie

[1] J. C. Hardy, L. C. Carraz, B. Jonson, and P. G. Hansen, Phyics Letter B 71 (1977) 307.

[2] V. Guadilla et al., First experiment with the NUSTAR/FAIR Decay Total Absorption γγ-Ray Spectrometer (DTAS) at the IGISOL IV facility, Nucl. Inst. and Meth. B 376 (2016) 334.

[3] V. Guadilla et al., Characterization and performance of the DTAS detector, Nucl. Instrum. Meth. A 910 (2018) 79-89.

[4] A.-A. Zakari-Issofou et al., Total Absorption Spectroscopy Study of 92Rb Decay: A Major Contributor to Reactor Antineutrino Spectrum Shape, Phys. Rev. Lett. 115, 102503 (2015);

[5] V. Guadilla et al., Total absorption γ-ray spectroscopy of the β-delayed neutron emitters 137I and 95Rb, Phys. Rev. C 100 (4) (2019) 044305.

[6] V. Guadilla et al., Large Impact of the Decay of Niobium Isomers on the Reactor ¯νe Summation Calculations, Phys. Rev. Lett. 122 (2019) 042502.

[7] M. Fallot et al., New Antineutrino Energy Spectra Predictions from the Summation of Beta Decay Branches of the Fission Products, Phys. Rev. Lett. 109, 202504 (2012).

[8] M. Estienne et al., Updated Summation Model: An Improved Agreement with the Daya Bay Antineutrino Fluxes, Phys. Rev. Lett. 123, (2019) 022502.