Dans le cadre du projet Cigéo, l’ANDRA envisage de stocker les déchets radioactifs de type HA (haute activité) et MA-VL (moyenne activités-vie longue) dans des alvéoles de stockage à 500 mètres sous terre selon le projet CIGEO. Pour assurer la sureté du stockage, le principe repose sur un concept multi-barrières qui vise à empêcher la migration des radioéléments dans l’environnement (figure 1-a).

Argilite
Figure 1 :
Schéma en coupe du concept multi-barrières français pour le stockage des déchets de type HA (a) et vue en coupe des expériences BACUCE mise en place par l’IRSN (b).

Pour les déchets de type HA, les radioéléments sont piégés dans la structure d’un verre borosilicaté, coulé dans un fût en acier inoxydable. Ce fût est lui-même placé dans un surconteneur en acier faiblement allié et cet ensemble constitue le colis de déchets. Les différents colis sont ensuite insérés dans un tube composé d’un acier proche de celui du surconteneur. Ce tube d’une centaine de mètres de longueur est directement inséré dans l’argilite de Bure, laissant un espace résiduel entre les deux matériaux.  Cet espace est rempli par un coulis cimentaire aux propriétés particulières, qui remplit différentes fonctions dans le stockage. Notamment, son bas pH lui permet de préserver le verre d’une dissolution rapide, mais le pH doit être suffisamment élevé pour passiver l’acier et contrer l’acidification qui pourrait s’opérer dans le milieu argileux à cause de la présence d’oxygène résiduel. Ce matériau présente également une bonne injectabilité, grâce à la présence de lubrifiants solides (minéraux en feuillet) dans sa composition et de par sa fluidité.

Néanmoins, la distance d’injection étant importante, il est possible qu’une partie du tube ne soit pas totalement recouverte par le matériau cimentaire. L’eau porale du site finirait donc par combler les hétérogénéités, ce qui pourrait avoir un impact sur la corrosion du tube d’acier. Dans ce contexte, l’IRSN a mis en place une série d’expériences in-situ au laboratoire souterrain de Tournemire (Expériences BACUCE). Ces expériences visent à mieux appréhender les phénomènes de corrosion s’opérant en contexte de stockage géologique profond, en investiguant l’effet de la température, de la présence de souche bactérienne et de la présence d’hétérogénéité spatiales sur la corrosion d’acier en milieu anoxique. La figure 1-b présente un schéma d’une vue en coupe des expériences BACUCE.
                                                                                                                                                                                                                                                            Photographie prise lors de mise en place des expériences
                                                                                                                                                                                                                                                                                            BACUCE 3, 4 et 5

BACUCE

En parallèle, Subatech a monté une expérience maquette qui a permis d’avoir un suivi plus régulier de l’évolution de l’ensemble du système au cours du temps, c’est-à-dire, de l’évolution de l’eau porale, de la minéralogie du matériau cimentaire et des produits de corrosion formés.
Ces expériences ont pu mettre en exergue un phénomène de corrosion localisée lié à la présence d’ions sulfures (HS-) libérés par le coulis cimentaire, ainsi qu’à la présence d’oxygène résiduel piégé dans la porosité du matériau cimentaire. Des vitesses de corrosion anormalement élevées ont été mesurées durant les premiers mois de l’expérience qui a duré 1 an. La formation de piqures mesurant jusqu’à 160 µm a également été observée sur une durée de 150 jours d’interaction. Suite à l’épuisement de ces sources de sulfures et d’oxygène, une couche de magnétite (Fe3O4), oxyde de fer à valence mixte, se forme permettant ainsi la passivation de l’acier. Les vitesses de corrosion chutent et la profondeur des piqures n’augmente plus avec le temps. Cette couche de magnétite est à son tour déstabilisée en silicate de fer/sulfures de fer, phénomène provoqué par la libération de silicium et d’une deuxième source de sulfure provenant du coulis cimentaire. Ces transformations s’opèrent à la fois à la surface de l’acier et dans le coulis cimentaire où le fer a pu diffuser et précipiter sous forme de produits de corrosion.

A titre d’exemple, la figure 2 montre une cartographie élémentaire MEB (microscopie électronique à balayage) de l’interface acier-coulis cimentaire après 147 jours d’interaction à 80°C en milieu anaérobique.

Cartographie MEBFigure 2: Cartographie MEB d’une interface acier-coulis cimentaire après 147 jours d’interaction

Ces processus de corrosion et de transformations minéralogiques ont pu être mis en évidence grâce à l’analyse de l’évolution du système dans son ensemble et au couplage de différentes techniques analytiques (MEB, µ-Raman, DRX, µ-Xct). Les différentes observations expérimentales ont pu être confirmées par la modélisation géochimique. Cette étude est le fruit d’une collaboration fructueuse entre Subatech (équipes Radiochimie et MNDL), l’IRSN, Mines ParisTech, l’IMN et le LPG dans le cadre du projet EURAD-ACED et a fait récemment l’objet d’une publication (Goethals et al., 2023).

Goethals, J., De Windt, L., Wittebroodt, C., Abdelouas, A., de la Bernardie, X., Morizet, Y., Zajec, B., Detilleux, V., 2023. Interaction between carbon steel and low-pH bentonitic cement grout in anoxic, high temperature (80°C) and spatially heterogeneous conditions. Corros. Sci. 211, 110852. https://doi.org/10.1016/j.corsci.2022.110852